La Légende d'une vie2017 - 2018
Vienne 1919. Un jeune auteur cherche à s'extirper du souvenir de son père, poète devenu icône nationale. Le jeune homme étouffe dans la maison familiale où tout est organisé par sa mère autour du culte du grand homme. C'est alors que revient au sérail une femme dont le secret pourrait libérer le jeune homme de son carcan.
note de mise en scène
Après « Lettre d’une inconnue » et l’immense plaisir de travailler sur l’œuvre de Stefan Zweig, l’envie de trouver un texte moins connu de cet auteur m’a poussé à lire ou relire son Théâtre, plutôt que les adaptations de nouvelles.
En découvrant « Légende d’une vie », c’est tout un univers d'émotions et de réflexions qui s’est ouvert à mon imaginaire de metteur en scène : dans cette ambiance incroyablement intense et redoutable d’une famille digne d’Ibsen et Faulkner réunis, j’ai retrouvé les obsessions de Treplev dans « La Mouette » de Tchekhov et la force d’un Thomas Bernhard...
Voilà une belle matière théâtrale, de quoi réunir autour de moi une équipe d’acteurs vibrants et profonds, de quoi offrir à Natalie Dessay l’opportunité de porter haut la grandeur artistique de Leonor, à Macha Meril d’être l’étrangère sincère et blessée, la Maria du passé qui détient la vérité, de quoi permettre à Gael Giraudeau de défendre la légitimité d’exister en tant que fils et artiste.
Voilà aussi pour moi l’annonce d’un travail exigeant et fiévreux, dans l’écrin d’un espace inventé par Catherine Bluwal, qui transportera les spectateurs dans un Palais de glace, mausolée transparent ou la vérité doit apparaître.
Christophe Lidon
note de présentation de l'adaptateur
Le théâtre de Stefan Zweig constitue une partie importante et souvent ignorée de son œuvre. « Légende d’une vie », créée en janvier 1919, en est un élément essentiel, que Zweig définit comme un « drame moral et contemporain », « le combat du fils contre la figure légendaire et faussée du père défunt qui l’opprime moralement et qu’il commence à aimer après avoir arraché le masque héroïque modelé par la famille et reconnu l’homme coupable et humain en lui » (lettre à son ami Romain Rolland).
Ce bijou de psychologie nous amène au coeur de l’affrontement entre deux femmes qui ont partagé la vie du grand homme, le poète Franck : Sa veuve, Leonor, autoritaire et intransigeante gardienne de l’oeuvre poétique de son époux, et son premier amour, Maria, l’étrangère, la paria, dont le retour inopiné vient brouiller l’image idéalisée du Maître.
Les thèmes que brasse « Légende d’une vie », nombreux et passionnants, font de cette pièce l’écho fidèle de ce « monde d’hier » au déclin duquel Zweig ne voulut pas survivre : l’incidence des clivages sociaux et du culte du secret, la genèse des drames familiaux, la constitution de l’identité (comment construire sa propre identité face à un si lourd héritage ?), le glissement de la vérité déformée vers le mensonge affirmé, et, bien sûr, le thème central de l’héritage spirituel : Peut-on réécrire la vie de l’autre jusqu’à construire une légende ?
Michael Stampe
de Stefan Zweig
traduction Jean-Yves Guillaume
adaptation Michael Stampe
mise en scène Christophe Lidon
avec Bernard Alane, Natalie Dessay, Valentine Galey,
Gaël Giraudeau et Macha Méril
décor Catherine Bluwal
lumière Marie-Hélène Pinon
coustumes Chouchane Abello-Tcherpachian
son Cyril Giroux
une création du Cado, Orléans
tournée de novembre 2017 à mars 2018
La pièce est un bijou, la distribution est prestigieuse. Pour sa nouvelle création, Christophe Lidon a choisi de nous replonger dans les mots de Stefan Zweig, avec une pièce inédite, La Légende d’une vie. Une belle réussite.
L’histoire commence alors que Leonore Franck, gardienne de l’œuvre poétique de son mari, ouvre à nouveau les portes de la maison familiale, à l’occasion d’une lecture publique. Son fils, Friedrich, dévoile, ce soir-là, sa première œuvre, non sans une certaine angoisse. Difficile, en effet, pour ce jeune auteur, écrasé par l’image d’icône nationale de son père, de se faire une place… mais ce soir-là, l’arrivée de Maria dans cette « maison contaminée par la peur et le mensonge » va faire éclater l’image de cette biographie idéale et la solidité de ce culte.
Dans un magnifique décor de panneaux rappelant les œuvres de Mondrian, deux femmes s’affrontent donc autour de la mémoire de Karl Franck : Natalie Dessay, une veuve majestueuse, autoritaire et intransigeante, et Macha Méril, « l’étrangère, qui se tait depuis vingt ans et qui dira toute la vérité ». Le reste de la distribution est tout aussi brillant : Gaël Giraudeau, Bernard Alane et Valentine Galey sont des acteurs précis, efficaces, à la grande puissance émotionnelle, qui nous transportent. Les longs applaudissements et les nombreux rappels le confirment.
La représentation d’hier soir à l’Opéra, où la Légende d’une vie fut magistralement servie, crée comme une urgence. Celle de s’immerger à nouveau des écrits de Zweig.
Femme tout en contrôle Leonor, (Natalie Dessay), veuve d’un poète célèbre, a métamorphosé la maison familiale en un mausolée. Mais la solidité de ce culte va être ébranlée par l’arrivée de Maria (Macha Méril), une femme mystérieuse. Le descendant du grand homme, (Gaël Gireaudeau) qui étouffe d’être le fils de, va s’engouffrer dans cette faille bienfaitrice. Il va pouvoir rayer « ce marbre sans fêlure » pour être enfin !
La sobriété de la mise en scène de Christophe Lidon exhume toute la subtilité et la tension du texte de Zweig. Les secrets des personnages, leurs douleurs intimes, l’amour de Maria et Leonor pour un même homme (un duo excellent), tissent une toile inexorable dans laquelle s’empêtre chacun. Mais, la quête de vérité de Maria et du fils va libérer les personnages de cette présence fantomatique. Les conduisant à ne plus renoncer à leur légitimité. A être en paix avec les autres au-delà des passions de haine et d’amour. Une mise en lumière de cette pièce de Zweig, sertie comme un bijou par les cinq comédiens salués longuement par le public.