La Cantatrice chauve2017 - 2018
Cette pièce emblématique est un élément essentiel dans mon parcours de metteur en scène, je n’ai cessé d’y penser, de m’y référer dans ma pratique du théâtre. D’abord elle est une interrogation sur la raison d’être de la représentation elle-même, ensuite elle ouvre de nouvelles perspectives narratives et enfin, elle abolit la frontière traditionnelle entre le tragique et le comique. Depuis que je l’ai découverte, à mes débuts, je ne supporte rien au théâtre qui soit dénué d’humour ou d’une connivence avec le spectateur. Au mot « absurde », Ionesco préférait celui d’ « étonnement ». Ce qui est absurde, en effet, ce n’est pas son théâtre, c’est le monde qu’on découvre dans le miroir qu’il nous tend : le nôtre. Et ce reflet ne vieillit pas. Mieux, il se réincarne au gré des métamorphoses de nos sociétés, et sous nos yeux étonnés, les Smith et les Martin continuent d’échanger des banalités sur leur radeau dérivant dans la houle…
Pierre Pradinas
C’est une réussite. Une vraie.
Move-On Magazine
Les comédiens réalisent une performance extraordinaire.
C’est génial !
Le Populaire du Centre
d'Eugène Ionesco
mise en scène
Pierre Pradinas
avec Romane Bohringer,
Thierry Gimenez ou Christophe Garcia
Julie Lerat-Gersant, Aliénor Marcadé-Séchan,
Matthieu Rozé, Stephan Wojtowicz
scénographie Orazio Trotta et Simon Pradinas
assistant à la mise scène Aurélien Chaussade
musique Christophe "Disco" Minck & the Recyclers
créatrice costumes Ariane Viallet
régisseur général Olivier Beauchet-Filleau
régisseur son Frédéric Bures
maquillage et coiffure Catherine Saint Sever
production déléguée Compagnie le Chapeau Rouge
coproduction Théâtre de l'Union - Centre Dramatique National du Limousin
Bonlieu - Scène Nationale d'Annecy
Acte 2
Théâtre de la Manufacture - Centre Dramatique National Nancy Lorraine
La Passerelle - Scène Nationale de Saint-Brieuc
La Compagnie le Chapeau Rouge est subventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication
en tournée automne 2017
En s’emparant de la première pièce de théâtre écrite par Eugène Ionesco – une « contre-pièce », comme il la jugeait lui-même –, Pierre Pradinas relève cette gageure de mettre en scèpne l’œuvre la plus jouée en France depuis 1950. Avec lui, « La Cantatrice chauve » se coiffe toujours de la même façon et ne prend pas une ride. Notamment grâce aux comédiens qui excellent tous dans cette petite friandise acidulée et délicieusement pétillante !
Au parterre ou au balcon, les spectateurs n’ont laissé aucune place libre pour assister aux deux représentations de La Cantatrice chauve, qui ont eu lieu, mardi et mercredi, au Grand Théâtre de la Passerelle. Inspirés, Romane Bohringer et ses partenaires le sont. On rit beaucoup, on prend du plaisir à redécouvrir l’œuvre de Ionesco. Pierre Pradinas a su, par sa mise en scène alerte, retrouver l’esprit de révolte de l’auteur contre les codes et les faux-semblants de l’écriture ; du jeu théâtral, de nos vies et de leurs travers. Tout concourt au plaisir dans cette Cantatrice chauve ressuscitée qui nous rappelle que rire face à l’absurde ne rend pas le rire absurde, et qu’au contraire, il peut être salutaire.
L’œuvre impose aux comédiens un « blabatage » sans queue ni tête, une suite effrénée de chausse-trappes langagiers et les sables mouvants d’une absence totale de psychologie et d’émotions à interpréter.
Ici, les acteurs s’emparent de ce « vide » avec un engagement hallucinant. Guidés en ce sens par Pierre Pradinas, ils « incarnent » les personnages, leur donnent ce qui leur manque volontairement dans le texte, chair, sang, émois, réactions, intentions, etc. Aussi le public se reconnaît-il dans maintes situations, maints comportements, travers et ridicules. Cela provoque bien des rires, tantôt fins, tantôt francs.
Les comédiens réalisent une performance extraordinaire. Leur jeu, à la fois généreux et nuancé, fait scintiller un texte qui, sous couvert d’absurdité, est en réalité brillant de malice. Les acteurs font ressortir cet éclat.
Il peut paraître curieux de parler davantage des acteurs que du metteur en scène. La grande maîtrise et maturité scénique de Pierre Pradinas l’explique. Il ne ressent pas le besoin d’effets ostentatoires. Sa mise en scène, élégante et décalée, à l’esthétique surprenante, accompagne le mouvement des acteurs avec quelques trouvailles malicieuses, justes, drôles elles aussi. Citons le rôle de la bonne, réinventé comme jamais vu.
Sur scène, la tension, la cocasserie, l’absurde montent en puissance. L’ambiance finit par virer au délire absolu, à une pure folie, dans laquelle les comédiens se donnent à corps perdu. Au fil de ce crescendo, la pièce ne se contente plus de dynamiter des codes. Elle ouvre aussi à une vision de l’humanité, perdue, égarée, on ne sait où ni pourquoi, une sorte de désespérance humanoïde cosmique. Et comique ! À la fin, le spectateur ne sait plus ce qu’il voit sur scène, ce qu’il regarde. Mais il est sûr d’une chose : c’est génial.
Nous sommes dans une espèce d’aquarium dans lequel les clips bilabiaux sonores de M. Smith ponctuent façon poisson le vide des propos de Mme Smith.
À la saturation du papier peint répond celle du langage. Banalités, évidences, truismes, lapalissades se succèdent et l’on ne peut s’empêcher de penser que pour Roland Barthes tout ceci constitue le cœur de la bêtise.
Les clichés sémantiques se suivent au point que l’un d’eux s’affiche en photo à la place de la pendule.
La vie ne devient alors qu’un tissu (un papier peint, pourrait-on dire) de coïncidences sans hiérarchisation, si bien qu’il est possible de détricoter sa propre histoire pour la vivre comme un enchaînement hasardeux. Tout sens disparaît et de frénétiques pendules dansent, explosent, se ramollissent façon Dali. Il est alors question d’une Alice… au pays de Ionesco ?
Le spectateur commence à douter de tout. La réalité ne serait-elle qu’une coïncidence ? L’identité aussi ? Ce tissu d’âneries aurait-il une portée philosophique? Profonde ? Serions-nous obligés de nous dire « Est-ce bien toi ? Alors si c’est toi, c’est moi ! »
Tout ceci fait curieusement penser à un aquarium rempli d’une saturation de vide, d’absence à soi, mais la mise en scène, le jeu « habité » de tous les acteurs, font pétiller la pièce de Ionesco, la font exploser… et nous de rire.
Il y a quelques jours, Stephan Wojtowicz (M. Smith) évoquait la difficulté à maîtriser la liberté que La Cantatrice Chauve laisse aux acteurs.
C’est une réussite. Une vraie.